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24/02/2022

Nous n’avons pas barre sur la transmission, ni celui qui voudrait donner, ni celui qui voudrait recevoir. Et plus nous voulons transmettre, moins cela passe, moins cela se passe.

Je vois beaucoup d’hommes autour de moi, et plus de femmes encore, chagrinés de voir « tout » se perdre. Cela les préoccupe. Leur énergie s'investit entière dans cette entreprise mais en vain. Cela devient une obsession puis de l’amertume. Ils s'épuisent psychiquement. La déception va croissant parce que l’autre se braque ou se fait encore plus passif. Le goût de vivre se perd, et l’on se gâche ses dernières belles années, mais aussi les années qui suivront puisque l’on n’a pas eu l’esprit assez disponible pour se préparer à elles. 

Si nous transmettons, parfois, partiellement, c’est justement pour avoir laissé cette idée, et, plus encore, cette prétention. C’est peut-être parce que nous avons accepté de ne plus vivre, ni en l’autre ni en rien, parce que nous avons accepté de mourir pour de vrai. 

Maintenant que je ne suis plus en responsabilité d’enseignante, maintenant que je suis une ″vieille femme″, je veux laisser les plus jeunes, tous, libres et seuls responsables de leur oui et de leur non. Je les crois jusqu’au bout aptes et habilités - peut-être à mon insu et même à leur insu ! - au choix qu’ils font jusque dans le fait, éventuellement, de ne pas choisir. 

On m’objectera que l’on ne veut pas transmettre pour soi, pour continuer de vivre par procuration, en quelque sorte. Soit. Mais la Vie ne peut travailler que si on la laisse faire et trouver elle-même ses chemins.

J’aime ici l’histoire d’Elie disant à Elisée, en demande de l’héritage spirituel : « Tu demandes une chose difficile. Si tu me vois pendant que je serai enlevé d'auprès de toi, cela t'arrivera ; sinon, cela n'arrivera pas. » 2 R 2, 10.Si même Elie, le grand Elie, ne peut pas se donner le pouvoir de transmission, si c'est donné, alors il est vraiment inutile de perdre son temps et son énergie là dedans.

Est-ce à dire que nous n’avons et ne pouvons rien faire ? Non, ce n’est pas « Après moi le déluge » et, si l’incurie n’est pas permise, le découragement non plus n’est pas de mise.

Il me revient de vivre, de tout mon cœur et de toutes mes forces, à plein, ma vie à moi, ici et maintenant, mais en n’oubliant pas qu’après tout ce à quoi je tiens tant n’a pas forcément à être. Il me revient de vivre cela au grand jour, sans chercher à paraître mieux que je ne suis, donc en laissant percevoir mes tâtonnements. Tant pis si je perds en prestige. 

Dans ce sourire de l’être qui tient et ploie, qui ploie et tient, quelque chose, à notre insu - et c’est certainement mieux ainsi - se transmettra peut-être, surtout si l’emporte sur notre souci l’attention douce à l’autre. 

fleur2