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06/10/2019

On ne part pas en voyage sans bagage, il y a au moins slip de rechange et brosse à dents, dans mon cas maquillage et parfum, et, puisque c‘est en l’âge, forcément médicament, au moins l’un ou l’autre ! Quel est mon bagage pour le voyage de la vieillesse telle que je l’espère ?

La prière m'a donné un grand amour de soi, attesté par la possibilité de chérir mon physique jusqu’en son âge. Cet amour de soi me fait forte en ma fragilité. La Bible m'est devenue un second inconscient, efficace. J'entends le « Là-bas ! » abrahamique. Le chant des dogmes me permet d'interpréter ma vie. Rites et liturgies m'ont fourni les repères voire les clefs.

Plus de 4 000 élèves en ma carrière m'ont magnifiquement formée. L'hôpital m'a libérée de bien des peurs, y compris celle du ridicule, m'initiant à merveille. Les mourants m'ont définitivement emmenée hors des convenances.

Mon avenir est derrière moi. Il est déposé. J’ai dans le passé échoué, ce n’est plus à faire. Magnifique soulagement ! La Vie m’a donné une réussite autre, que j’aime et qui finalement correspond tout à fait à ce que je voulais.

Il n’y a rien dans mon existence que je veuille encore faire, que j’estime encore avoir à faire avant de mourir. Tout a été dit et fait. Mon existence n’a plus besoin de durer. Elle peut s’arrêter à la seconde. Tout est bien, tout a tourné en bien, finalement. J’ai donc l’esprit libre.

Une grande paix est en moi quant aux figures dangereuses de mon passé. Il y a même une sorte de sympathie à l’égard de ceux qui ont fait mal parce que je vois bien qu’ils ont fait comme ils ont pu, empêtrés qu’ils étaient à ce moment-là dans leur propre histoire, difficile. Quant à ceux qui aujourd’hui me mésestiment, j’ose penser qu’ils me méconnaissent et que peu importe que je sois reconnue ou non, que j’aie raison contre eux ou non. Le fait d’ainsi n’en vouloir à personne me fait légère comme bulle de savon.

Me délester psychiquement me permet l’élimination bien concrète, systématique, du superflu matériel. Une fois par an, je trie et nettoie un tiroir, une armoire, une étagère après l’autre. Pas loin maintenant de ma retraite, je me sépare de bien des livres, supprime mes écrits édités et les notes de mes conférences, remets les grandes nappes que j’ai brodées à des mères qui fondent famille, commence à donner mes bijoux aux fillettes et aux femmes plus jeunes que moi.

Tout cela me fait plein de place dans le cœur pour les souvenirs qui ne défleurissent pas, pour le présent qui vient m’étonner, pour l’avenir qui me demande de l’aimer le moment venu. A moi de prendre le temps pour savourer cela, qui est le voyage même !

Pour mes proches, c’est déconcertant, voire douloureux. Je n’emporte rien quand je quitte un lieu ou quelqu’un, je ne garde rien que ce qui m’est vraiment nécessaire dans un art du peu consommé, je fais partir plus loin. Les cadeaux ne sont donc plus possibles, hormis, hors de prix, le sourire, le regard bienveillant, du temps, une écoute sans peur et donc sans jugement, la parole bien personnelle venue du fond de soi, le fait d’être juste là, avec son manque sans pour autant ni s’en excuser ni s’en prévaloir.

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