26/09/2019
Je veux que mon voyage de vieillesse gracieuse soit d’aller, aller, toujours aller, jusqu’en l’immobilité, peut-être surtout en l’immobilité. Il me faut donc cultiver et préparer et protéger l’autonomie jusque dans la dépendance.
Je veux savourer chaque lieu et chaque instant ici et maintenant et passer, toujours passer : allant de moi-même, appelée plus loin, ou poussée, voire bousculée, et peut-être expulsée. Je veux alors réagir toujours avec grâce et toujours dans l’accueil bienveillant de ce qui sera donné là-bas. Et pourquoi pas ?
Je puis l’envisager pour avoir choisi d’aller mon chemin, selon la parole abrahamique, fondatrice, du « Va-t-en pour toi ! », pour avoir appris ce faisant à perdre l’amitié de beaucoup et supporter de ne pas être ni reconnue ni aimée.
Je ne cède pas et ne cèderai pas sur mon désir. Je laisse et laisserai advenir celle que je suis, en fidélité. Juste moi. Cela s’apprend puis s’exerce. Je puis maintenant jouir de l’expérience acquise pour poursuivre selon cette dynamique intérieure.
J’ose croire que les familiers, même déconcertés, accepteront jusqu’en leur étonnement, par de-là leur peur de moi, de continuer à m’aimer jusqu’en leur désamour voire leur rejet. Ils l’ont déjà fait, ils le font déjà, magnifiques.
Je sais pouvoir compter sur les inconnus. Des compagnons de voyage inattendus se sont déjà manifestés, avec lesquels un segment du chemin peut-être parcouru.
J’ai conscience de vivre ce que je voulais, qui se dessine en ces vers que j’ai toujours aimés :
Pars d’ici. Un matin d’automne au point du jour
Lie amitié avec le brouillard : c’est ton âme.
Des platanes se lèveront sur le plateau
Lents, un par un, au bord de la route. Des formes
Te feront signe et aussitôt t’effaceront.
Par instants tout hormis ton corps s’abolira
Une Puissance balaiera de son manteau
L’univers mué en mirage. Tu pourrais
Baiser l’ourlet de cette robe, t’entraver
Dans la traîne immatérielle qui déroute
Ton immobilité même y perdant son pas.
Mais prie. (…)
Pierre Emmanuel, Jacob,
dans Œuvres poétiques complètes, second volume,
Lausanne, L’Age d’Homme, 2003, p. 171.
