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16/05/2022

Le tout premier effort pour la beauté, quotidien, essentiel, sauf en tradition nordique, souvent mal honoré, effectué dans nos villes par les invisibles - les anges ne sont-ils pas invisibles ? -, est celui de la propreté, que nos soyons vus ou non, que nous soyons seuls ou dans la rencontre :

propreté de notre espace, propreté de notre lit, propreté de notre table ; propreté de nos habits ; propreté de la chevelure et de la peau, y compris et peut-être surtout aux endroits cachés, qui, parce que tout se sait toujours, curieusement, un jour ou l’autre apparaissent et nous révèlent ; propreté de nos pensés et de nos paroles, nettoyées d’amertume et de pourri grâce au refus de ressasser, grâce à la vigilance quant aux dialogues intérieurs. 

J’aime la devise de l’Armée du Salut : « Soupe, savon, salut », sauf que j’inverserais : « Savon, soupe, salut », puisque je ne puis boire mon café qu’une fois ma personne propre et le lieu où je le bois propre, ceci par respect pour moi et par respect pour lui. Je crois que le salut advient sur fond de propreté. Salut-santé-guérison sont à juste titre des synonymes en français. En même temps, je crois que le salut fait advenir la propreté et que celle-ci, bien concrètement, contribue à manifester qu’une personne est hors de danger spirituel. 

La beauté est courage et d’abord courage de voir ce qui n’est pas beau. Si j’escamote cette étape, de douleur, je ne pourrai jamais faire en sorte que mon handicap, par mon inventivité, devienne mon atout beauté. 

La beauté requiert une honnêteté rigoureuse et une liberté farouche, qui laissent apparaître, peut-être même font apparaître, au grand jour ! Si l’on trafique, on obtient seulement du faux et ce toc hurle avec vulgarité. Si l’on trafique, on éprouve toujours de la gêne et ce mal-être souligne ce que l’on voulait escamoter. Le processus est implacable : plus on cache, plus ce qu’on voulait cacher se voit. 

Puisqu’il s’agit d’honorer en sa personne ce qui est immédiatement beau et de travailler en elle ce qui est à ″booster″  pour en faire une esthétique, la beauté présuppose une bonne connaissance de soi, perpétuellement actualisée du fait que l’on change physiquement sans arrêt. Il s’agit aussi de se former par une culture, ouverte à toutes les traditions du monde en tous les temps, pour s’en inspirer, préjugés déposés. 

Puis il y a tâtonnements et ratages dans la recherche du style personnel, avec éventuellement affrontement de regards désapprobateurs. 

Il nous faut oser être différent de qui nous fûmes et de ce que les autres sont et de ce que les autres attendent de nous, selon les normes en cours . Nous allons en adéquation parfaite avec ce que Kandinsky appelle « la nécessité intérieure » (Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, Folio essais, Denoël, 1989, p 88), qui nous fait unique donc toujours singulier. Car notre beauté, présentation de soi et contribution au courage de l’autre, pour être, doit émaner de l’âme, sine qua non !

C’est tout cela au moins que requiert notre beauté pour pouvoir se donner. Il y a là des noces avec soi-même à vivre, en décision de solidarité indéfectible à son propre égard et en recherche de l’adéquation parfaite - parfaite au sens de ″menée jusqu’au bout″ - avec qui l’on est, sans fraude. 

Cela peut paraître énorme. C’est, de fait, beaucoup, mais ce n’est pas prenant, pas accaparant, cela vous met même encore plus au contact avec les autres dans la joie, une joie tantôt mutine puisqu’on ne se prend pas au sérieux, tantôt grave d’espérance parce que l’autre frémit ému devant ses propres possibles de réconciliation avec soi par nous découverts. 

C’est à la portée de tous. En ce sens - bonne nouvelle ! -, la beauté est pour tous. Quel que soit mon physique, quelle que soit ma situation financière, quelle que soit ma santé, quel que soit mon âge, une beauté est possible, une beauté sera, incomparable ! Il ne s’agit en aucun cas d’une beauté accommodée, d’une beauté rafistolée, d’une beauté au rabais, d’une beauté de compensation. C’est une beauté toujours neuve, même avec les drapés de la peau en grand âge !

Nous avons tous rendez-vous avec notre beauté. A moi de démantibuler les murs qui, dans ma tête, m’en séparent. 

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