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28/01/2023

Un rêve fabuleux m’a visitée en mon sommeil et j’ai conscience d’avoir vécu là un des moments les plus importants de mon existence. 

Les rêves d’autrui n’intéressent personne. Et pour cause ! Ils ne parlent pas au monde mais à la personne unique qu’ils sont venus ″rencontrer″. Si donc j’évoque ici mon rêve, c’est seulement parce que j’estime que ma relation à mon rêve peut, par analogie, enrichir la relation de chacun aux siens.

Dans mon rêve, tout était sombre, je trouvais le quotidien très dur et disais, sans reproche aucun, à rien ni à personne : « Eli Eli lama sabachthani ». Je le redisais en français, selon la traduction littérale de l’hébreu : « Mon Dieu, mon Dieu, à quoi m’as-tu abandonné ? ». C’était une question, sans plus. 

Je fus aussitôt projetée de l’avant, par une force masculine, contre la poitrine robuste d’un humain. C’était un homme, la quarantaine, un peu plus grand que moi, sombre, silencieux, fermé, presque hostile. Lui, il me propulsa encore plus loin, toujours de l’avant. 

Ainsi blackboulée, bien que décontenancée, je n’avais pas peur. Immédiatement monta à mes lèvres, toujours dans le rêve,  le nom d’« Elie » ! Je comprenais donc cette déstabilisation comme ce qui me sauvait. 

J’aime ce rêve, en son irruption, sa facture, son esthétique, et pour ce qu’il semble me dire. Il est tout d’intelligence, avec présence, aussi vive qu’en état de veille, des facultés intellectuelles, dont la capacité de traduire et d’interpréter, et des facultés spirituelles, à l’œuvre jusque dans le sommeil. Oui, ce rêve, tout court et si dense, est un bijou. 

Réveillée, je fus et demeure émue par l’à-propos du rêve, là au bon moment et de bonne façon. J’ai pensé au psaume : « Il m‘appelle et moi je lui réponds. Je suis avec lui dans son épreuve. » 

« Prof de français », je note en souriant cet encadrement du tonnerre : « Eli Eli lama sabachthani  » - Elie. Je repère que ce n’est, avec justesse, pas le même Eli (« Eli / Elie »). Exercée par la psychanalyse, je sens bien la finesse de ce glissement. 

J’aime que la réponse, dans et par le rêve, soit non de gentillesse mais de bonté. C’est bien le psaume : « Il m’appelle et moi je lui réponds », c’est bien : « Je suis avec lui dans son épreuve » et il y a bien, selon la tradition juive, alors l’envoi d’Elie le consolateur. Mais cet Elie, qui vient sauver, prenant le relai d’une force masculine qui, tel l’ange de Loth dans la Genèse, pousse hors de et de l’avant, est terrible, déguisé, toujours comme le dit la tradition juive. Il est ici l’homme silencieux, sombre, robuste, qui me projette encore plus loin, apparemment sans compassion aucune.  Du moins est-ce  ainsi que je le perçois ou veux le percevoir. 

Je suis heureuse de la persistance, dans le songe, de mon être en sa façon : obstination, absence de jugement et a fortiori de vindicte, sang froid fait de perspicacité jusque dans l’activité onirique, refus de se laisser aller au pathos mais utilisation de son énergie pour voir par delà les apparences, voir  jusque dans la difficulté la lumière. 

Je continue de penser le rêve. Je dis ci-dessus : « voir la lumière ». Mais il n’y en a pas dans le songe ! Si, à la Rembrandt, par mode de clair-obscur, très esthétique et réussi d’un point de vue cinématographique. Et la lumière, c’est aussi le résultat : blackboulée mais laissée indemne, je suis projetée hors du «A quoi  m’as-tu abandonnée ? » Plaisir de la lecture de nos rêves…

J’ai, tout de suite, dans le rêve et au réveil, reconnu et pris ce rêve. Avec du recul, se confirme ce que je pressentais : il est puissant, efficace et efficient par lui-même ; mais si je veux qu’il puisse donner son maximum, il me revient de rester un temps en sa présence. Il ne s’agit pas forcément de le travailler, mais de le laisser diffuser dans la méditation – qui, selon l’étymologie, est médecine -, puis de l’inviter à demeurer dans ma mémoire, sous la forme qu’il choisira, consciente ou inconsciente.

Ce sera un bonheur, que je souhaite à tout un chacun, avec ses propres songes, anges venus à lui en ami, même déguisés en cauchemar ! 

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