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Evelyne Frank

08/04/2022

J’ai depuis 15 ans tous les signes premiers d’une leucémie, mais pas les signes secondaires et je suis toujours en vie donc je n’ai pas de leucémie. Visite de contrôle une fois par an. C’est tout à l’heure.

Je trouve que je peine plus encore que les autres fois, psychiquement. C'est plus difficile, avec le temps !

Plus difficile, avec le temps ? Je croyais que cela resterait aussi difficile, pas plus ! Hé bien oui, c’est plus difficile. Je ne sais pas encore pourquoi.

Hier, ma prière antérieure demeurait, mais moins tonique : « Un jour, il faut bien que ça se termine, Seigneur. Alors, si je puis faire une suggestion, parmi tout ce qui peut m’arriver, une leucémie, ce ne serait encore pas trop mal, je crois : d’abord c’est élégant et puis je pense qu’on souffre moins que dans d’autres maladies. »

Ce matin tôt, en pantalons de cuir et talons hauts, pour la prière que je ne voulais pas fuir assise bien droite sur mon banc à chaussures de gosses en forme d’éléphant blanc qui me sert à cela, comme je disais le Notre Père, j’entendis sa formule « Et si je tombe entre les mains des pirates, que je ne perde pas l’élan de vie » (traduction, plus littérale que « Fais que je n’entre pas en tentation », me convenant mieux) encore tout autrement : « Et si je tombe entre les mais des pirates, fais que je ne perde pas ta vitalité en moi. »

Cela a fait pivoter, comme une porte secrète dans la tapisserie des châteaux, quelque chose dans ma perception du vivre en ce qui me concerne. J’ai là perçu que la force n’est pas mienne d’abord, qui s’obstine à transformer la condition humaine en vin pétillant pour tous en dépit de tout, en pain au levain savoureux pour chacun quoi qu'il ait fait. Cette force têtue en moi est Dieu, dont je ne sais s’il existe, en moi.

Ma prière, dans le stress de l’humain qui ce matin va vers une consultation qui lui dira s’il vivra ou mourra, était et devint : « Fais, si je tombe aux mains des pirates, que tu ne sois pas détruit en moi. »

Je suis partie vers la journée en peinant, oui. C’est long, j’ai du mal à me concentrer, je dois lutter pour parvenir, au lieu de subir, à empoigner et choisir de vivre ce que je vis, y compris son effroi, mais je vois que je tiens en ma foi paradoxale.

L’essentiel est là. Mon Notre Père de ce matin est donc exaucé ! Je suis exaucée !

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