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06/04/2022

Je me levai tôt comme prévu, pas bien, un fond d’angoisse plus difficile à vivre ce matin-là que les autres jours. C’était sans doute compréhensible à l’approche de ma consultation annuelle en oncologie, deux jours plus tard.

 Mais j’avais honte de moi parce que je ne me sentais capable ni de rester seule dans mon appartement ni de marcher dans le quartier endormi comme je le fais souvent. 

J’optai pour, près de la gare, un café pas cher - because finances -, ouvert de bonne heure, où je comptais lire.

La nuit avait été la plus froide depuis 1947 en cette saison. Dehors, tout était figé. L’obscurité glaciale me saisit. Morsure du corps. Le gel avait brûlé les arbres en fleurs. Morsure du cœur. Mais j'allai, crispée, essayant de ne pas fuir pourtant.

Le café était tout de courants d’air, la jeune serveuse transie fermée. Je démarrais mal la journée. Difficile de me concentrer. Difficile de lire. Je m’en voulais - et cela n’arrangeait pas les choses - d’être si peu disponible, au seuil d’une journée offerte par la vie. 

J’en étais là quand j’avisai un homme jeune, grand, mince, soigné, seul à une table, plus loin. Je lui souris. Il ne refusa pas mon regard. Il contractait les épaules et serrait les mains. « C’est vraiment dur aujourd’hui… » lui dis-je, toujours de loin. La réponse me transporta dans un autre monde que le mien tout douillet !

« Oui, on a eu du -5. Et j’ai passé la nuit dehors. J’ai téléphoné au 115 mais tout était plein, à cause de la guerre. » L’homme s’approcha, se mit à la table voisine, avec une distance intérieure qui ne m’échappa pas et me plut. Je lui notai sur un zettele l’adresse de l’Armée du salut avec mon nom. J’étais heureuse d’avoir pour lui un recours fiable. Il accepta un café, pas plus. Je lui demandai son origine : le Maroc. Mais il venait de Belgique, quittée suite à un fracas. « Musulman ? » Son sourire heureux répondit à mon sourire doux. « Oui », murmura-t-il.

La jeune serveuse se mit en quatre pour le café, l’homme sentit le respect du plateau cherché pour lui et posé devant lui. Il supporta, reçut avec reconnaissance mais sans s’écraser. Il me lança dans ma journée par sa façon courageuse de ne pas « exagérer » la perception qu’il pouvait avoir du moment qu’il traversait là. Il sourit encore autrement quand je le remerciai pour sa noblesse.

Nous avions à trois, cet homme, la serveuse et moi, allumé un feu du cœur. Il faisait resplendir nos visages ! Fabuleux ! Il a brûlé quelques secondes, il brûle toujours en moi le lendemain, il ne s’éteindra pas.

Je filai pour … supporter.

Dans la rue où je ne sentis plus le froid, me vint cette pensée : «Etait-ce pour cela que j’étais si mal ce matin ? Pour que je sorte et que j'aille vers ce moment au café près de la gare ? » Monta alors cette prière : «  Si c’est pour de nouveau mettre sur mon chemin quelqu’un à qui indiquer la bonne adresse, quel que soit le moyen utilisé pour me faire sortir, tu peux ! Oui, c’est d’accord ! Je veux ! »

Je veux ? Je crois que ça se dit traditionnellement : « Ainsi soit-il ! » Hé ben oui, ainsi soit-il quel que soit le prix !

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