14/03/2022
Ceux, celles qui me connaissent, je les reconnais au fait qu’ils savent ou comprennent que ce jour, anniversaire de mon baptême, alors même qu’il fut difficile et presque clandestin, compte pour moi beaucoup, plus que celui de ma naissance, bien qu’un voisin
Uhlan à grosses moustaches conduisant la quatre-chevaux pour l’accouchement sût alors proférer en bonne fée le destin – « Ah !!!! S’Haxalla kommt - et encore plus que celui de ma conception pourtant fort belle, sous le signe du tragique du départ à la guerre assumé et par l’homme, médecin militaire, et par la femme amoureuse, qui décida de se marier avec lui avant, au risque de se retrouver bientôt veuve, mais aussi sous le signe du voyage, du vin non d’addiction mais de fête, du fou rire et de la fantaisie.
Je devais m’appeler Mildred. C’était l’idée de mon père. Ma mère se récria. Heureusement ! Il suggéra Evelyne. Elle agréa. Heureusement ! Mes parents m’ont bien nommée. Ils ont su me nommer. Belle réussite.
J’ai toujours aimé mon nom. J’ai surtout haï mon nom, qui me place dans la lignée d’Eve, elle-même dans la Bible sous le signe d’un vivre et d’une maternité très problématiques. Aujourd’hui, l’amour de mon nom l’emporte depuis quelques mois et je pense, je sais, que c’est définitif.
Le jardin premier m’ayant été restitué, par grâce, au-delà d’une longue quête et d’opiniâtres combats, j’ai décidé, consciemment il y a huit jours, inconsciemment sans doute il y a bien longtemps, de rejoindre la place d’Eve qui dans l‘iconographie est sienne, à savoir les enfers, voire l’enfer.
Oui, c’est sa place, c’est ma place, ma place avec Adam, avec Caïn, Isaac et Ismaël, Esaü, Joseph, avec les mères de Moïse, avec les esclaves d’Egypte, avec Saül, David, avec Anne, la veuve de Sarepta… C’est ma place aussi, je la prends !
Je sais qu’il y a là aussi Maximilien Kolbe et Marie Skobstsov de qui je n’ai pas le courage. Mais il y a là aussi Silouane et Mère Teresa. Je veux être avec tous les humains dans l’ahan et les peines, qui y sont sans se faire cependant complice de la souffrance, tendus d’une façon ou d’une autre vers le bleu des grands ciels.
Ce choix, qui participe d’un amour délicieux de moi-même, exigeant et tendre, n’a rien de généreux. Il procède de la volonté de sens que je veux donner à mon existence.
C’est un choix qui inverse l’imaginaire et le réel malheureux en bonheur en dépit de tout. Le nom Eve ne se lit-il pas dans les deux sens, anagramme parfait, palindrome ? Et moi qui le porte ne suis-je pas nettement dyslexique ? Oui, je suis bien nommée…
C'est peut-être pour être entrée dans l’amour de mon nom - mon nom en son étymologie, son imaginaire, son histoire, mon nom en ma façon de le vivre, de l’infléchir et de lui donner sens, de le faire mien tout en me sachant plus vaste encore et en acceptant aussi d’être dissoute – que, tout naturellement, ce matin tôt, ma prière fut de lire à mi-voix pour moi-même ces mots de Péguy murmurés par Christ, celui que nous nommons « le Seigneur de la danse » : « Et moi je vous salue ô pleine d'épouvante (…), Aïeule aux maigres doigts, (…) laborieuse, (…) obéissante (…), impérieuse... Je vous aime tant. »