10/09/2025
1. Quand, exceptionnellement, au réveil je me sens bien, j'ai peur. Pas étonnant.
Pour avoir vécu si longtemps dans le danger et ensuite dans l'effroi qui s'est ainsi implanté en moi, je n'ai pas appris le bien-être naturel. Mon bien-être résulte toujours d'un important travail sur moi, jour après jour, heure par heure, quart d'heure après quart d'heure. Le bien-être spontané est pour moi l'inconnu et l'inconnu fait peur. A moi de choisir de me lancer dans cet inconnu par delà cet inconfort premier.
2. Je vis un double lien dont j’entends bien me défaire. Je ne me sens pas le droit d’aller bien, c’est-à-dire sans angoisse, parce qu’au fond de moi je suis persuadée que je suis méchante, que j’ai fait du mal dans mon existence et aussi que je suis inutile donc née en vain et parasite. Je ne me sens pas le droit d’aller mal, c’est à dire angoissée, parce qu’alors je suis toxique. Mais, voyons ! Au fond du fond de moi, je sais que je suis un être de qualité, qui a agit en conscience et vérité, le mieux possible dans des conditions qui furent démentielles. Au fond du fond de moi, je sais que mon mouvement, en lequel je suis infatigable, vers, pour qu’ils sachent qu’ils font encore partie des vivants, ceux qui sont aux enfers n’est pas vain. Au fond du fond de moi, je sais que je vais bien sans culpabilité aucune, sans prétentions non plus.
3. C’est cette tranquillité au fond du fond de moi, l’essentiel.
Je souris, écrivant ceci, parce que c’est comme si, sous mon inconscient houleux, il y avait un inconscient tranquille et, sous cet inconscient tranquille, encore un conscient tranquille. Aurais-je donc un conscient, voire des conscients, sous mon inconscient ? Curieuse géographie psychique ! Elle ferait sans doute sursauter Freud. Quoique... Pas si sûr...
Toujours est-il que je maintiens cette "cartographie" ! C’est pourquoi je dis souvent, rieuse : « A mon insu, je vais bien ! » Là aussi, je persiste et signe !
4. J'ai la chance de ne plus prendre d'anxiolytique depuis maintenant 33 ans, de pouvoir vivre sans, d'en être venue à préférer une vie psychique tourmentée avec beaucoup de rêves nocturnes et une acuité intacte voire exacerbée de la sensibilité à un parcours plus paisible mais moins vif.
5. J'ai également la chance d'avoir maintenant depuis une dizaine d'années systématiquement rendez-vous avec la paix du soir, en solitude dans mon studio, et celle de dormir le moment venu, la tête à peine posée sur mon oreiller, visitée par des rêves majestueux, qui peuvent être des cauchemars mais n’en sont pas moins amis. Dire qu'autrefois, au retour du travail, je lançais en hurlant ma voiture dans la nuit sur n'importe quelle route, sans but aucun, des heures durant, pendant que les autres rentraient chez eux...
6. Quand il y a en moi combat de l'angoisse et de la raison, le match est plié d'avance. C'est l'angoisse qui gagne et je ratiocine. J'ai beau me répéter les arguments rationnels, mon cerveau n'imprime pas. Je tourne comme un hamster dans la petite roue de sa cage.
Normal : l'angoisse et l'intelligence sont sur deux registres différents. L'angoisse a pour terrain l'émotionnel, l'intelligence le rationnel. L'angoisse n’entend pas, elle est sur un autre registre. C’est sans doute mieux ainsi. Angoisse contre raison, ce serait le clash nucléaire !
Donc il me faut, dans la tempête; non pas chercher à me raisonner mais agir. Agir agir agir sans me poser de question, en attendant – activement - que la vague passe, surfer sur elle qui s’appuie sur les sillons anciens de l’anxiété : faire du sport, suivre un cours de yoga ou une formation, me mettre à l'œuvre dans mes engagements sociaux. Au préalable, il me faut juste poser mon choix de vie et de journée : « Toi, la vie que je ne connais pas, plus haut que tout ! La confiance courageuse en moi ! Une bienveillance inconditionnelle à l’égard d’autrui ».
Il me revient de maintenir cette stratégie une fois le sujet d'angoisse passé, parce que l'épreuve a son contre-coup, parce que corps et psychisme ont besoin de temps d’abord pour “réaliser“ au sens anglais du mot que le danger à juste titre perçu par l’angoisse est passé, puis pour rétablir l'homéostasie, puis encore pour intégrer les leçons de l’événement, enfin pour récupérer. La joie est là dans l’instant tout premier de la résolution du stress, sensible, n’est plus ressentie un temps ensuite -à moi de m’en souvenir et donc de ne pas m’en alarmer, encore moins m’en sentir coupable ! -mais demeure à mon insu bien en place au fond de moi. Elle se manifestera de nouveau au niveau conscient et s’y installera en majesté plus tard, plus tard, à un moment imprévisible. Je ne puis provoquer cette venue, encore moins la forcer. Je n’ai pas barre sur elle. M’inquiéter et m’impatienter avec moi-même, parce tout ne rentre pas mécaniquement aussitôt dans l’ordre en moi comme quand on appuie sur un interrupteur, est tout à fait inadéquat.
Inapproprié aussi me paraît, plus le temps et l’expérience m’enseignent, l’attente et l’espoir d’être comprise par les autres dans l’angoisse et en sa résolution. A moins d’être très fins et très à l’écoute d’eux-mêmes, ce qui est rare, ils ne comprennent pas. On peut le déplorer. Je choisis une autre façon de réagir, que je pressens pour le moment mais, en cette étape nouvelle de mon cheminement, puis déjà investir : considérer que là je suis conduite en haute solitude, noble, pour une épiphanie.




