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27/05/2023

J’aime ceux qui disent « je », pas « moi, personnellement je », pas non plus « on », « il se trouve que » : « je ».

J’aime ceux qui disent « je veux », pas « il faut que », « cela s’est fait ainsi », « on verra comment c’est possible » : « je veux », « j’ai voulu que », «  je propose que … si… ». 

Mon Dieu, biblique, est celui qui dit « je », qui dit « je suis », qui dit « je suis celui qui suis » et, plus merveilleux encore qui m’apprend à, moi-même, devant sa face, oser dire, éventuellement contre lui, « je suis », qui s’attend –d’où le Tzimtzoum- à ce que je dise, m’assumant et assumant tout ce que je fais et pense - « je suis ». Mon Dieu, biblique, s’il existe, m’espère, fière et  frontale, disant « je suis ». Ou alors il n’est pas Dieu. 

Quand je suis devant quelqu’un qui ne va pas plus loin que : « On pourrait peut-être…. », les trois points de suspension demeurant sans suite, quelqu’un qui me dit : « Quelle place ? Je ne sais pas, c’est où tu veux ! », quelqu’un qui avance à pas de souris et ne s’assied que sur le bout des fesses,  je me retire pour deux raisons. La personne s’étant ″gommée″, je suis devant du rien, autrement dit l’interlocuteur me laisse seule, me laisse devant le vide, alors qu’il était question de se rencontrer. La relation n’a pas de sol sur lequel elle pourra s’appuyer, elle ne parviendra donc pas, comme l’arche d’un pont, avec audace et grâce franchir le gouffre de l’altérité maintenue et célébrée. 

Les détenus rencontrés seul à seule m’ont appris que ma parole est vaine, qu’ils ne peuvent pas la prendre, et donc que je ne puis en rien attester de quoi que ce soit d’heureux pour eux dans leur malheur, si je n’ose pas le « je », le « je suis », le « je sais que », « je vois que » », si je n’assume pas explicitement ma parole, et plus profondément encore, ne crois pas en moi.

Ils écoutent, quoi qu’ils aient fait. Il y a un silence. Puis, avant d’oser peut-être prendre ce que je leur dis de beau à leur sujet pour l’avoir constaté, les yeux dans les yeux - ce qui est fabuleux, en condition carcérale -, ils me sondent. L’un d’eux, terrible, verbalisa : « Tu dis ça, mais tu crois en toi ? » 

Quand l’autre ne dit pas devant moi, pour moi : « je », ce n’est pas forcément lâcheté, ce peut être désir très noble de discrétion. Mais en ma culture et ma fierté, c’est difficile. Je n’y parviens que ponctuellement, pas dans la durée. 

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