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26/04/2023

J’enfile un costume masculin noir, à fines rayures blanches très espacées, offert par ma sœur il y a des années. Il est, parfaitement à ma taille, un peu re-cintré par une couturière aux doigts de fée. L’habit me va bien : sévère et détendu, strict et souple, en adéquation avec mes cheveux blancs un peu fous.

J’opte pour les boots à talon haut qui écornent l’aspect ″Madame″. Je fixe une rose de tissu blanc cassé, à la boutonnière. Je déstructure la tenue. La voici col relevé, ouvert, et manches remontées. Un peu de parfum ″Sérendipidité″, le parfum fou. Je suis moi. Je file et ne m’occuperai plus de cela jusqu’au soir.

Les uns fêtent, encouragent, sur mes lieux d’activité et dans la rue. Les autres sont soudain de glace, comme si je n’étais tout à coup plus voulue. 

Je choisis de simplement croire en moi, d’aller mon chemin selon ce que je suis, qui je suis. Puisque l’habit, chez moi, n’est jamais frime mais présentation de soi et célébration du jour, peu importe, n’est-ce pas ? 

Si j’adaptais mon être à ce qui est agréé par les uns, puis défaisais pour être agréée par les autres, je deviendrais folle. Ceci vaut pour l’habit comme pour les compétences. 

N’ai-je pas entendu au fil des ans ? « Tu es habillée comme en boîte, il faut mettre des basket » ; « Tu as un français trop élaboré », mais aussi : « Tu parles comme les témoins de Jéhovah », et encore : « Tu délires » ; « Vous êtes trop dans le don , « Vous êtes trop fragile pour entrer dans notre association » ; « Tu perturbes les gens, parce que tu dis toujours merci », « Tu es trop gentille, alors on te prend pour une idiote ou te croit prétentieuse. ». Si  j’écoutais et m’adaptais, je passerais mon temps à me faire et défaire au lieu de me déployer, je tournerais dans tous les sens comme une girouette au lieu de tracer mon beau chemin,  je prendrais toutes sortes d’identité au lieu de sculpter puissamment la mienne, enfin deviendrais schizophrène à  me faire ainsi multiple et contradictoire. 

En Maison d’arrêt, on me croit avocat, en Ehpad médecin, en salle de restauration, propriétaire de l’établissement. Je suis peut-être intimidante… Mais ce soir, en supermarché, un chibani superbe, petit, mince, les traits prononcés, les cheveux tout blancs, les yeux de feu, me demande de l’aider pour l’étiquetage des fruits qu’il a pesés. Il me happe au passage et demande humblement, mais dignement. C’est un roi ! Je pourrais pleurer de joie pour sa confiance. Je suis pourtant  plus que déconcertante pour lui selon sa culture, femme en  tenue masculine, cheveux court à la garçonne, look archi occidental ! 

C’est le plus beau moment de ma journée. Il se prolonge : une dame très âgée, avec déambulateur, me demande de lui trouver un produit qu’elle ne voit pas, puis dit avec douceur l’élégance de mon style, ajoute que cette élégance est bienfaisante pour qui me rencontre. Je souris, tout émue encore, à cette parole d’aînée. 

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