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21/03/2021

L’expérience de juré a rouvert en moi une béance dangereuse. J’ai décidé de traiter la question. Puisqu’il s’agit d’un souvenir d’enfance, je me rendrai chez un pédopsychiatre.

Cinquante cinq ans plus tard, il est grand temps de s’occuper de la fillette malheureuse que je fus à huit ans, que je n’aime pas, que j’ai laissée à sa détresse, que j’ai condamnée à la prison à perpétuité de mon désintérêt voire de mon mépris.

Elle n’a pas osé faire appel. Pas étonnant : elle n’a jamais ″moufté″ ! Je vais aujourd’hui, à sa place, carrément en Cour de Cassation, pour la justice et la justesse. Il me revient, à moi, adulte qui la connait et sait bien des choses de son tourment, de faire cela.

J’ai envie d’ensuite la regarder à neuf, abandonnant le jugement des autres que j’ai fait mien, abandonnant même, autant que faire se peut, tout jugement. Je veux la laisser être en son Dasein, en quelque sorte. L’empathie envers elle serait pour moi dangereuse. Je garderai mes distances. Mais peut-être parviendrai-je à mieux que de l’empathie : à une certaine compassion, ici plus adéquate. Je voudrais alors laisser cette enfant parler, me parler, si elle y parvient. Je pressens une estime possible. Je crois que je ferais bien d’en venir à l’écouter en ses désirs bloqués, percevant ce que la Vie me dit en eux.

Ma démarche est curieuse. Mais après tout, n’ai-je pas fait, avec profit, il y a un an plus curieux encore, allant consulter pour moi un comportementaliste pour chien, en précisant cependant que je ne me prenais pas pour un chien ! La confirmation de ce que je pressentais - j’ai tous les signes comportementaux d’un chien ayant été abandonné, et pour cause … - me fut alors très utile pour me comprendre moi-même et plus encore comprendre combien je suis, pour les autres, déconcertante.

Je fais part en deux mots de mon projet à mon médecin traitant. Il y a comme un blanc. Ses yeux presque noirs deviennent d’argent. Ils sont plus perçants que jamais, dans l’effort pour comprendre. Lui, toujours si distant et mesuré dans ses paroles, par trois fois demande, sur un ton vif, saccadé : « Vous ? Pour vous ? Un pédopsychiatre ? » J’éclate de rire, explique. Sans plus rien dire, le médecin me fait la lettre du généraliste adressant sa patiente au confrère.

Ce que je fais, en me rendant chez un pédopsychiatre pour la fillette que je fus, ressemble beaucoup à la décision de Joseph, dans l’Evangile selon Matthieu. Le rationnel qu’est Joseph, bien que déconcerté, prend la part qui, en Marie, le ″flanque″, incompréhensible, apparemment immorale, pour lui permettre de laisser advenir ce qu’elle porte en elle d’inconnu. Par hasard et pas par hasard, le pédopsychiatre en question, que bien sûr je ne connais pas, qui bien sûr est là efficace et efficient mais me fait comprendre qu’il ne sait pas, s’appelle Gabriel !

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