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Evelyne Frank

18/11/2020

Etait-ce parce que je trouvais l’existence trop dure ? Non, pas encore, en ces années là. Je trouve effectivement l’existence trop dure, avec ses chagrins déchirants et ses angoisses térébrantes.

C’est pour cette raison que je n’ai pas voulu mettre d’enfant au monde, d’autant plus que je me sentais psychiquement inapte à le lancer dans la vie, ce qui était exact. Mais je crois que j’eus été prête à assumer, sinon les angoisses de l’existence, vertigineuses pour qui est a minima conscient, du moins les chagrins bouleversants. Ce n’est donc pas pour cela que je voulais me tuer.

Je voulais me tuer parce que je n’en pouvais plus, submergée, comme le dit le psaume, par le mépris. Mépris dans la famille dès l’enfance, croissant avec les années, de tout proches et de plus lointains ; mépris de tant d’enseignants du parcours scolaire et du parcours universitaire ; mépris des intellectuels ; mépris français ; mépris de l’Education nationale dans l’exercice professionnel ; mépris de beaucoup parmi les psy ; mépris en milieu ecclésial, en monde catholique et protestant et orthodoxe ; mépris des gens « normaux » du quotidien…

Tant de mépris. Je le percevais bien mais me disais que je me l’imaginais. Je le percevais bien mais me disais qu’il était fondé. J’en suis venue à penser –et cela m’habite encore- que ce serait mieux si je n’existais pas. Je me suis sentie bonne à rien, et donc parasite à éliminer. Il y avait des images en moi : le poids à faire disparaître comme on dégraisse ; la sale bête à noyer ; la pas belle à ″poubellifier″. C’était renforcé par le fait que je n’arrivais pas à me suicider, terrorisée par le mourir, avec son long souffrir même si l’on parvient à se supprimer par une méthode rapide.

Aujourd’hui, l’estime de soi est construite, me mettant, je pense, hors de danger. Merci, en tous les lieux du mépris, à ceux qui ne le prolongèrent pas et contribuèrent voire travaillèrent, se donnant un mal fou, à cette estime de soi, dans ma famille, parmi mes amis, en milieu scolaire et professionnel, intellectuel, médical et ecclésial. Ils furent à la fois rares et nombreux, chaîne d’anges qui se relayèrent pour oeuvre. Merci aux anges d’aujourd’hui qui, maintenant, que tout est bien, ne cassent pas mais au contraire de bon cœur célèbrent cette santé.

Je sais aussi pourquoi j’ai mis des distances avec les grands repas. C’est aujourd’hui parce que je suis devenue chatte haret. Mais avant il y eut une autre raison, celle de la superficialité des relations en ces occasions, superficialité que je ne savais pas lire. Et avant, il y avait eu encore une autre raison. Là encore le mépris… Les grands repas sont si souvent le lieu d’une telle violence, explicite ou implicite !

Aujourd’hui, je n’ai plus la force… On pourrait à table justement pour inverser le processus et faire de ces rencontres le symposium grec ou le repas de la Chambre haute christique. Mais, trop vieille maintenant, je n’ai plus la force à cela. Je ne suis pas à plaindre pour autant, d’abord parce que j’ai pu le faire et les amis et la famille sont joyeusement entrés dans ce projet, ont contribué de tout leur être à sa mise en oeuvre, qui fut, ensuite parce qu’il y a maintenant les échanges superbes - d’autant plus remarquables peut-être que nous sommes dans une certaine pénurie financière - occasionnant pizza joyeuse et café festif.

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