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Le vieux monsieur en Ehpad, tout simple, totalement démuni, qui n'a rien retenu de moi sinon que je suis également seule et que je brode régulièrement auprès de lui, me dit : « Si tu n'as nulle part où aller, tu peux habiter ici, dans ma chambre. Tu peux tranquillement venir : Il y a de la place pour un deuxième lit et je ne peux plus faire l'amour. » 

Cet homme m'émeut, qui a osé dire : « Je ne peux plus faire l'amour ». Il faut être puissant pour cela. Jusqu'en la "perte de l'esprit" de ses 93 ans, peut-être parce que son loisir tout au long de l'existence fut de faire des crèches, il garde attention à l'autre et sens pratique. Célibataire depuis toujours, il sait les combats, il sait les heures dangereuses. Quelle vigilance en sa nuit ! 

Ce vieux monsieur relaye sans le savoir un autre homme pauvre et magnifique, croisé dans la rue. D'un pas rapide et incertain venu à moi comme sorti d'un conte de fées, il m' a lancé, sans aucunement chercher à m'accaparer : « Tu est belle comme le soleil et tu souris gentiment. Si un jour tu as besoin d'aide, tu me le dis. D'accord ? » 

Me rejoint en ces hommes l'étrange royauté, celle que Victor Hugo rencontre dans le mendiant des Contemplations : « Son manteau (…) étalé largement (…) semblait un ciel noir étoilé ». Ces inconnus tout démunis me font cadeau royal et passent , vont. Le signe ne trompe pas ! 

Je reçois d'eux en viatique impérissable comme l'or l' attestation d'une dignité possible jusque dans le dénuement de l'âge, avec défaite des corps, indigence et solitude. 

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