bg

J’étais entrée dans sa chambre juste pour qu’il y ait, avec elle, venu exprès pour elle, quelqu’un, outre les soignants de l’Ehpad. Très âgée, sans famille, mourant seule, ne communiquant plus selon nos codes, elle m’a, sans rien dire, remarquablement enseignée. 

Sa chambre parlait. Aux murs, peu d’éléments décoratifs, mais du beau : du Klimt, une vierge, deux angelots baroques. Sobriété. Le mobilier médical avait sa cohérence, qui respectée, avait de l’allure. Rien d’étonnant à cela : on l’oublie souvent mais il est pensé aussi selon l’esthétique. 

A la fois insistant et très doux, un soleil d’hiver, véritable réconfort, passait sur le lit.  M’approchant, j’ai découvert dans ce soleil une femme, ou plutôt une dame, endormie, les épaules ouvertes, avec, parfois, un léger étirement de chatte. 

Ses longs cheveux avaient été soigneusement coiffés. Libres, ils se déployaient sur l’oreiller en souplesse. Le visage émacié, détendu cependant, avait une noblesse impressionnante : des traits fins ; un long nez droit, d’arête impeccable, parfaitement en accord avec la majesté de ces traits ; une gravité paisible. La gorge et les clavicules avaient gardé leur féminité, en leur dessin sculpté rehaussé par l’encolure dégagée du vêtement, de tissu raffiné, brun et or. 

Je suis restée là longuement, immobile, sans même broder comme je le fais si souvent. J’ai écouté avec les yeux et j’avais les yeux plein de lumière. Mon cœur s’ouvrait à une espérance inespérée, qui m’étonne moi-même.    

Ce que j’ai reçu, au contact sans toucher et à l’écoute sans mots, de cette dame en fin de vie est pour moi force et liberté plus grandes. J’ai réalisé – au sens anglais du terme – que je puis, nous pouvons être  dignes et beaux jusque dans le mourir. Il existe des gens parmi les soignants qui ont bon goût et qui y veillent. Mourir dans le sommeil de la sédation, se laisser glisser en lui peut être, semble-t-il, doux voire voluptueux. Dans ma chambre en Ehpad, si c’est là que je dois aller un jour, il y a aura, grande, l’icône du Christ selon Roublev - un Christ noble qui s’efface-,  une pivoine en tissu, une petite bible, le chapelet musulman aux 100 noms, fourrure et cachemires sur mon lit. 

Une perspective de lumière s’ouvre là qui rend le présent plus tonique ! 

fleur2