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08/03/2022

J’ai lu dans un commentaire juif, La Voix de la Thora, Elie Munk, Fondation Samuel et Odette Levy, 1981, p. 195, pour Gn 19, 27, à savoir « Abraham se dirigea de bon matin vers l'endroit où il s'était tenu devant le Seigneur (...) » : « importance d'une place constante comme lieu de prières (…) au rendez-vous ».

J’ai compris et je n’ai pas compris. Je l’ai gardé, en attente, au fond de moi. Cela a ressurgi.

J’ai réfléchi aux lieux que, pour la prière, mon corps, en son intelligence, aime pour moi. Cela m’a fait découvrir qu’il en est beaucoup et que chacun me parle, me parle de moi, œuvre pour favoriser mon projet de vie.

Je n’entends donc pas modifier mon choix de lieux multiples pour ma prière, d’autant plus qu’il est une façon, si les autres m’acceptent en mon assise - expérience faite, ceci ne va pas de soi - de les rejoindre en solidarité. 

En ce moment précis - véritable creuset - de notre histoire frôlant le désastre nucléaire, j’ai cependant perçu que l’icône de l’Anastasis - les Français traduisent : Descente aux enfers, la traduction exacte serait Résurrection en la nuit du Samedi Saint - devant laquelle je suis finalement le plus souvent, soit assise en indien sur le sol blond de mon petit appartement soit endormie confiante, cette icône, me structure et structure de plus en plus mon existence.

L’œuvre, connue à cause de son expression bienveillante, est celle d’un anonyme russe du XVIe siècle. Je l’ai souhaitée fixée dans mon bureau sur une tenture faisant kilim, au dessus de mon lit de camp traité en alcôve, selon un orientalisme à la Pierre Loti, avec coussins brodés et tissus précieux et fourrures. L’icône ainsi me restitue le Jardin premier, luxuriant. La tenture musulmane géométrique est en effet stylisation d’un parc, selon la tradition. Simultanément, Christ, en son amande de ciel suggérée, selon la tradition aussi, une autre tradition, fait le Jour, un jour bleu. Il fait Dieu – Jour est l’étymologie de Dieu - jusque dans la nuit de mort, normalement radicale et irrémédiable.

Je n’ai qu’un fragment de l’icône : le visage expressif du Christ sur fond de ciel bleu. La dynamique de son vêtement blanc, ample, est sensible grâce au drapé de l’épaule amorcé. Je ne voulais pas plus. De par mon assise ou mon sommeil en contrebas, à moi toute seule, oserai-je dire en toute modestie,  je reconstitue l’icône en son intégralité !

Cela me plaît, pour ma/la prière. Encore en toute modestie, je dirai que venant au rendez-vous, je donne au ciel la présence de la terre et fais la création - « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » - complète ! Génial ! Comment ne pas avoir envie de prier, dans ces conditions ? Mais justement, n’est-ce pas cela, prier, qui que nous soyons, où que nous soyons et où que nous en soyons : faire le symbole terre-ciel complet et ceci de par notre volonté et notre pouvoir, que le créateur, s’il existe, souhaite intensément, bien que dangereusement pour lui ?

En cette œuvre, Christ descendu et venu à Eve/lyne dans les enfers pose sur elle un regard bon. J’ai craqué devant cela. Cette icône est le premier objet que j’aie acquis pour mon appartement comme je m’installais seule à 20 ans. Cette icône, je l’aime sans l’avoir choisie, puisqu’elle me fut avec quelque insistance suggérée par la vendeuse alors que j’envisageais un Pantocrator, certes entré chez moi plus tard quand même ! Cette icône, je l’aime l’ayant choisie, puisque je l’ai prise.

Elle m’a toujours parlé, peut-être patiemment, même quand je recouvrais tout de mes hurlements de douleur terriblement silencieux. Elle me disait mon passé, elle m’invitait à la danse au présent.

Elle me parle de façon toute neuve aujourd’hui où je ne lui demande plus rien. Elle reconnaît mon avenir, celui que je choisis, qu’en elle j’ose choisir indépendamment d’elle mais volontiers avec elle. Elle ratifie redoutablement. Je souscris à cette confirmation !

Les juifs ont raison : prier au même endroit dans la durée ! 

fleur2