bg

29/06/2023

Elle a 92 ans et vit encore sans le secours de personne, en totale autonomie, fière en sa solitude. Une impératrice. De fait, elle a nom impérial : Adrienne.

Fille de boulanger, elle ne fait pas n’importe quoi, avec la nourriture : c’est bon, sain, en proportion modeste, toujours noble en dépit du budget qui peine. 

J’ai là affaire à une dame. J’en ai conscience.

Je viens donc régulièrement chez elle pour apprendre, apprendre la vie, apprendre à vieillir aussi, avec grâce, une grâce très féminine jusque dans le grand âge. Car Adrienne reste très femme, jusqu’en ses formes, son port de tête, ses traits et son regard, sa façon de se vêtir et de se parer. 

Le rituel, avec Adrienne, c’est, près de la fenêtre drapée d’un grand rideau, incrusté de dentelle par elle-même réalisée autrefois, et sur nappe brodée en sa jeunesse, dans de la porcelaine ancienne, un bon café et deux palets craquants de fin chocolat noir. 

Ce jour-là, nous parlons du pain, celui de son enfance, celui qu’elle aime, celui qu’elle peut se permettre pour les jours de fête vécus seule, celui du quotidien vécu seule, celui des heures difficiles et celui des contemplations apaisées, celui du Carême et celui de Pâques, le pain pris aussi avec des invités. 

La dame de grand âge me dit alors qu’elle reçoit volontiers. Je m’enquiers des menus, découvre qu’elle cuisine encore des plats difficiles, toujours assaisonnés de sel béni. Tombe cette remarque qui m’impressionne : « Mais si quelqu’un maltraite le pain de ma table, il ne revient plus. Je ne l’invite plus. »

Adrienne, pour le pain impérieuse ! Je comprends…

fleur2